Le temps des pionniers : La visionnaire, le sourcier et l’industriel
« Une nuit je me réveillais avec la certitude que quelque chose était caché sous nos terres qui devait m’assurer la fortune que la pauvreté du sol me refusait ».
Mme Amélie Zürcher
Rêve prémonitoire ou, plus probablement, mythe forgé a posteriori. C’est en tout cas de cette façon que la seule femme du groupe d’investisseurs à l’origine du premier sondage, justifia dans une interview donnée en 1926 son implication dans le montage financier et sa volonté de mener à bien cette entreprise.
Amélie Zürcher, c’est ainsi que se nommait cette visionnaire, est née en 1858 au château de Bollwiller (Haut-Rhin) où son père possédait une filature. Elle était issue d’une famille qui s’était illustrée dès le XVIIIème siècle dans la fabrication des « indiennes ». A la mort de son père, elle s’installa avec son frère dans une propriété foncière, le Lutzelhof. Ses terres pauvres et caillouteuses occupaient une bonne part de l’Ochsenfeld sur les bans de Cernay et Wittelsheim.
Jean-Baptiste Grisez, né en 1861 à La Chapelle-sous-Rougemont (commune du Haut-Rhin jusqu’en 1871 puis, après l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne en 1871, du Territoire de Belfort resté français) dans une famille de brasseurs a repris et développé l’entreprise paternelle. Outre ses talents de chef d’entreprise, il manifesta des dons de radiesthésiste qui lui permirent de détecter, à l’aide d’un fanon de baleine, des sources mais aussi des filons métallifères. C’est ce talent particulier qui le rapprocha de J. Vogt qui maniait lui aussi la baguette sur le site pétrolifère de Pechelbronn (Bas-Rhin).
Joseph Vogt est sans doute le membre le plus important du trio des découvreurs. Il est né à Soultz (Haut-Rhin) en 1847 dans une famille de fondeurs. Il eut une double formation de fondeur et de technicien des rouleaux de cuivre pour l’industrie textile. En 1891, il se retrouve à la tête de quatre usines (fonderies de fonte à Soultz, Mulhouse et Masevaux, de cuivre à Niederbrück). Afin de disposer à bon prix de minerais et d’énergie pour ses usines mais aussi par passion pour cette activité, il se lance dans la prospection. D’abord actionnaire dans une société pétrolière exploitant un gisement à Durrenbach (près de Pechelbronn), il fonde la société de sondage Gute Hoffnung (Bonne Espérance) spécialisée dans la fabrication de tours de forage à grande profondeur mises au point par l’ingénieur allemand Anton Raky puis par Joseph Vogt lui-même.
Ni charbon ni pétrole…
En 1900, il recentre les activités de forage dans la vallée de la Doller, à proximité de ses usines, et effectue, en association avec Jean-Baptiste Grisez, des sondages visant à découvrir un filon de houille dans le prolongement de celui de Ronchamp (distant d’environ 25 km) ou du pétrole dont on avait trouvé des traces dans l’eau de certaines sources du Sundgau. C’est un échec.
Mais le mariage de l’une de ses filles, en 1903, va relancer ce projet sur un nouveau site. C’est en effet à cette occasion qu’il rencontre Amélie Zürcher qui lui fait part de son rêve prémonitoire et lui propose d’effectuer un sondage sur ses terres. Les nouveaux associés créent alors la « Société en participation pour la recherche de la houille en Alsace » au capital de 100 000 Marks. Joseph Vogt s’engagea pour la moitié de la somme ; Amélie Zürcher et son frère Albert, Jean-Baptiste Grisez et le Dr Fischer apportèrent 12 500 Marks chacun.
… mais de la potasse
« Echantillons constitués par quelques impuretés (argiles, calcaires dolomitiques et schistes) mêlés à du chlorure de sodium et du chlorure de potassium ».
Voilà en substance le rapport livré en juillet 1904 par un laboratoire strasbourgeois à propos d’une « carotte » de forage remontée des profondeurs de la forêt du Nonnenbruch sur le ban de la commune de Wittelsheim, à 3,5 km de son clocher et à proximité immédiate de la ligne de chemin de fer Mulhouse-Kruth. Le sondage se poursuivit jusqu’au 31 octobre où il atteignit la cote – 1119 mètres.
Cette sylvinite (c’est ainsi qu’on nomme la roche constituée par les deux chlorures précités), zébrée de rose-orangé et de gris-blanc, assura la richesse de ses découvreurs et, surtout, elle permit la création d’un bassin d’emplois où une nouvelle communauté, celle des mineurs, vécut une épopée marquée par bien des particularismes.
De leur mise en exploitation en février 1910, jusqu’à l’arrêt d’extraction en septembre 2002, les mines du bassin potassique ont assuré une production de 567 millions de tonnes de sel brut, soit environ 140 millions de tonnes de chlorure de potassium pur, utilisées essentiellement comme engrais pour l’agriculture.
L’Alsace ne se contentait pas seulement d’être une des plus belles provinces de France par son agriculture, sa viticulture et ses industries textiles et mécaniques, mais elle offrait en outre, dans son sous-sol, une richesse unique en France : la potasse.